VIVRE ENSEMBLE


Un dimanche de Juin.
Au musée Marmottan.
Je suis avec mes trois enfants.
Une envie, comme ça de beauté, de douceur.
Et puis, il y a cette exposition sur l'art et l'enfant, qui me tente.
Mon fils de trois ans, se demande ce qu'il fait là. ça ne l'intéresse pas. Ici, pas le droit de courir, ni de crier. Mais la promesse du manège lui permet de tenir sans trop rechigner.
Mes filles, 5ans et demi et 7 ans, elles, sont ravies. Le musée Marmottan est un ancien hôtel particulier. Lustres, dorures, mobiliers,... Elles s'extasient. "Maman, on se croirait dans un palais de princesses..."
Elles admirent les toiles, avec légèreté. Ce qui les intéressent: les costumes de l'époque, les petites filles endimanchées. Morisot, Renoir, les couleurs chatoient et à leur regard, les scènes intimes peintes se révèlent familières. Elles aiment.
Dans la salle de l'exposition, un monde se bouscule. Mon fils dans les bras, je me faufile. Mes filles, se tiennent la main, elles regardent, mais comme moi, se sentent très vite oppressées. Et puis, une jeune femme souffle bruyamment et se met à râler, car à côté, on entend un bébé pleurer. "Mais qu'il se taise!" crie t'elle.
Immédiatement, une tension naît dans mon dos. Ce n'est pas mon bébé, mais je me sens concernée. Bien sûr, entendre un bébé pleurer, quand on souhaite admirer des œuvres d'art, peut agacer. Cependant, bien d'autres choses à cet instant perturbent le regard. La foule, qui se bouscule sans gêne. La chaleur, un peu oppressante... Enfin, je suis triste de mesurer ce que l'intolérance d'une personne peut modifier dans le comportement du groupe.Car d'autres regards fusillent les enfants présents. Chacun veut voir, et surtout veut mieux voir que les autres.
Qu'est ce que signifie, à cet instant, "vivre ensemble"?
Chacune de ces personnes, semble vouloir être seule. Tous se conduisent comme tel.
Être ensemble, est ce cela?

Que nous dit cette exposition, au fond? Que l'enfant a vu son statut évoluer, passer de l'enfant royal, seul représenté, à l'enfant choyé peint dans son quotidien. Que de l'indifférence générale, il est devenu centre d'attention, au point d'inspirer les artistes modernes, non pas pour ce qu'il est, mais pour ce qu'il crée. N'est ce pas Picasso qui a passé sa vie, à essayer de peindre "comme un enfant"?

Qu'il ait été utilisé comme modèle à peindre, ou comme modèle pour peindre, l'enfant, au fond est resté  objet des aspirations artistiques, sociétales de son époque... Un modèle sublimé, suscitant une espèce de nostalgie pour cette "bienheureuse enfance", ou au contraire, réveillant les consciences...
Avons-nous changé?

Très vite las, nous quittons l'exposition. J'invite mes filles à descendre admirer les oeuvres de Monet.
La salle est presque déserte. Nous nous asseyons. Nous respirons.
Comme à chaque fois, je suis émotionnellement prise au coeur.
Monet me transporte.
Avec lui, les couleurs vibrent, appellent à la douceur, au lâcher prise.
Avec lui, je me souviens, que oui, tout est là. Juste là.
Cette beauté dans le monde.
Ce virtuose du pinceau a choisi des "petits" sujets, ordinaires. Nous sommes loin des peintures religieuses, mythologiques, des portraits de grands hommes. Non, ici, l'homme nous raconte une petite fleur, un bord de rivière, une aube.
Notre œil entre alors dans un poème. L'instant est sublimé. De sa fugacité, nous en percevons quelque chose. Et que voyons nous? Une harmonie naturelle, baignée de lumière. Le monde selon Monet.
Monet est davantage un spécialiste de la Nature, que des portraits. Mais il est l'artiste qui me réconcilie le mieux avec l'humanité.
J'ai proposé à mes filles de faire le tour des œuvres, pendant que je restais assise avec leur frère.
Mon regard, ému, les a accompagné dans leur découverte des glycines, des nymphéas, des iris...
Vision touchante: mes filles dans leur petites robes d'été, leurs cheveux blonds relevés, tournoyant face aux nymphéas.
Je crois que Claude aurait apprécié...
Ces petits pas légers, cette spontanéité.
Le"Vivre ensemble", semble tout à coup, moins oppressant.
Si même dans un lieu publique, parce que l'être humain est un bébé, un enfant, il n'est pas toléré, alors, comment concevoir une société fraternelle et respectueuse des différences??
Les gens payent pour voir des enfants en peinture. Ils les admirent, ou tout au moins le talent de l'artiste à travers eux. Froide et immobile vision de petites personnes disparues.
Mais, un enfant, en vie, devient gênant, parce que bruyant, parce que vivant...
Paradoxal, non?
Suis-je trop dure envers les intolérants?
Vivre ensemble, doit-il se construire dans un monde d'adultes seulement?
Pourtant, où commence ce "vivre ensemble", si ce n'est déjà dans l'enfance, au sein d'une famille?...
Accepter les différences, tolérer ce que nous ne comprenons pas toujours, est ce que cela ne devrait pas se travailler précisément là?

"Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits. Ils sont doués de raison et de conscience et doivent agir les uns envers les autres dans un esprit de fraternité."Déclaration universelle de l'homme

Sans cette fraternité, cette nécessité de lien, peut être pas toujours affectif, mais tout au moins moral, comment espérer vivre ensemble?


Illustration: La boxe, Maurice Denis, 1918.

Commentaires

  1. Merci merci merci !!! Tant de fois j'ai fait ce constat avec mes 4 enfants, tant de fois je suis partie fatiguée et triste de ces regards desapprobateurs...
    Merci pour votre poésie !

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  2. Je suis très touchée, merci :) et comme ça fait du bien de savoir qu'on n'est pas seule!

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  3. Mais en fait, vous avez un blog !Et super intéressant en plus :) Allez, hop! Dans ma liste:)

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