TAPER


Lorsque j'ai commencé à travailler dans le secteur de la protection de l'enfance, et donc à rencontrer des enfants maltraités, je me souviens de ma totale incompréhension concernant la violence physique.
J'ai appris à distinguer, à repérer les traces de coups, avec ou sans objet, de strangulation, de secousses. Toutes ces traces qui pouvaient légitimer la parole de l'enfant et protéger la victime.
En moi-même, je me répétais: "Comment? Comment peut-on faire cela à un enfant?"
Et oui, c'est vrai, je ne comprenais pas.
Et par la même, je me démarquais totalement de ces parents maltraitants.
Je dis parents, je pourrais dire famille, mais à vrai dire, en dehors du cercle familial, les statistiques de cas de maltraitances physiques chutent.
Nouvelle réalité, difficile à accepter: comment des parents, des membres de la famille, des personnes qui connaissent l'enfant, et qui sont donc censées l'aimer, peuvent elles en arriver à le frapper, le battre, voir le torturer??
Qui la famille protège-t'elle véritablement ? L'enfant?
C'est effectivement un des devoirs de la famille.
Mais lorsque cela n'est pas le cas?
La société.
La loi?
En France, aucune loi n'interdit de taper son enfant. 
23 des 27 pays de l'Union Européenne ont interdit juridiquement toute forme de châtiment corporel sur les enfants.
Pas la France.

Je me souviens d'un certain colloque à Caen, il y a quelques années, regroupant les infrastructures de la protection de l'enfance et celles des violences conjugales. J'étais chargée de parler de la violence faîte aux enfants témoins de ces violences conjugales et de la nécessité de les protéger.
A la gare de Caen, en sortant, je m'étais retrouvée face à un couple sortant d'un café, et l'homme a commencé à frapper sa compagne. J'étais choquée. Mais très vite, des inconnus sont intervenus pour maitriser l'individu. Je suis restée témoin impuissante. Et en moi-même, ce terrible constat: si cela avait été un père et son enfant et si l'homme avait commencé à frapper son enfant comme cette femme venait d'être frappée, y aurait -il eu des gens pour s'interposer?
Je ne le crois pas... Au nom de la "sacro sainte" atteinte à la vie privée et parce que nous avons une jurisprudence qui admet le "droit de correction" des enfants au sein de la famille...

Lorsque j'ai commencé à travailler dans le secteur de la protection de l'enfance, je me suis promis en moi-même, que JAMAIS, je ne frapperai mes enfants. 

Et puis, je suis devenue mère. 
Et là, j'ai commencé à comprendre.

Premièrement, j'ai compris que cette violence, cette potentialité violente existe en nous-même.
Et que son expression dépend d'un apprentissage transgénérationnel.
Si enfant, on a été tapé, il nous sera plus difficile de ne pas taper à notre tour.

Deuxièmement, j'ai compris que l'investissement affectif parental est fondamentalement ambivalent.
On aime nos enfants. ça c'est facile à comprendre.
Mais on hait aussi nos enfants. Plus difficile à admettre, n'est ce pas.
Parfois, de manière fugitive, contextuelle, mais pour certains de manière plus intense.
Parce qu'ils nous ramènent à nos pulsions destructrices.
Parce qu'ils nous confrontent à nos failles, nos bassesses, nos défauts.
Cette haine, fait partie du bagage transgénérationnel et selon ce que nos parents, nos grand parents en auront fait, elle sera plus ou moins bien maîtrisée.
Si enfant, on a été haï, les conséquences de cette haine nous auront fragilisés et il peut être plus difficile de la tolérer en nous-même et par la même d'en maîtriser les expressions.

En plus de ces deux constats, j'ai compris qu'il existait aussi un contexte environnemental de la violence. 
La succession, voir l’accumulation de difficultés, de petits ou/et gros "tracas"peuvent entraîner des passages à l'acte violents.
Ainsi:  
- Des situations de précarité, de pauvreté, de délinquance,
- Des situations de tensions voir de violence professionnelle, communautaire, conjugale
- La souffrance physique, psychique chronique, le mal être, l'isolement, la fatigue prolongée, le stress répété.
Et ce qu'on reconnait moins:

- Les pressions de la famille, de l'entourage, parfois même de l'école pour accueillir des enfants cadrés, adaptés, compliants, pour ne pas dire "bien éduqués", "sages", "calmes"

- La banalisation de ces petits gestes de violences domestiques, l'hypocrisie des spécialistes de l'enfance qui, bien sûr n'encourageront pas ouvertement à taper, mais qui feront comprendre la nécessité d'une "autorité" sans éclaircir ce que ce terme englobe pour eux.
"Non! Pas le martinet... Mais enfin, si vous en venez à donner la fessée... "(Sous-entendu: vous pouvez donner la fessée)

Je l'admets moi-même : Il m'est arrivé de taper sur mes enfants.
Malgré mes convictions
Toujours sous le coup de l'émotion.
Toujours dans le cadre de débordement
Toujours seule avec eux

J'ai beau savoir d'où ça vient, avoir travaillé dessus
J'ai beau être convaincue que c'est destructeur et inutile
J'ai beau en parler, l'admettre, réparer, et me remettre en question

Je ne peux pas garantir à mes enfants que je ne recommencerais jamais plus.

Mais j'y travaille. Jour après jour.
Pour mes enfants, "maman et papa ne tapent pas"
Et c'est vrai, dans la globalité.
Mais c'est arrivé.
Et c'est parfois un effort extrême pour moi de ne pas le faire.

Alors, oui je comprends un peu mieux les parents maltraitants, à quel point ça peut être difficile d'élever ses enfants, à quel point on se sent seul et livré à soi-même...

Pourquoi est ce que je lutte contre cette tendance?

- Parce qu'il ne me viendrait pas à l'esprit de frapper mon chef ou mon mari parce qu'ils m'ont énervés... Alors pourquoi mes enfants? Eux, en apprentissage de la vie sociale!

- Parce que je ne peux pas affirmer être pacifiste, contre la guerre, pour la non violence en général, répéter à mes enfants qu'il ne faut pas taper ni les adultes, ni les petits camarades, ni les animaux et moi, de mon côté, les taper...

- Parce que je suis persuadée qu'en réussissant à les éduquer sans avoir recours à la violence physique, je leur fournis des outils pour maîtriser, une fois adulte, leurs  propres pulsions destructrices et je les aide à être meilleurs que moi.

Y penser, me motive.
Et comme pour les cris: moins on crie, et moins on va spontanément hausser la voix.
Moins on émet de gestes violents et moins on va céder au passage à l'acte dans les situations de crise.

Alors courage!
Courage à tous ceux qui ont décidé de sortir de cette "méthode" éducative douteuse, mais pour qui ce n'est pas évident au quotidien.
Si vous échouez, et bien, vous réparez ( reconnaître son tort et s'excuser) et vous réapprenez à ne plus avoir de geste violent.

Mais il me semble que la mise en place de lois aiderait les parents à abandonner définitivement cette "méthode" éducative. Aiderait les parents à ne plus avoir recours au châtiment corporel, parce que la loi le dit: c'est interdit.
Ce n'est qu'une question de temps.

En attendant les phrases du style: " une fessée n'a jamais tué personne, regarde, toi, tu ne t'en portes pas plus mal" "Une tape sur les mains n'est pas taper", " il faut bien que les enfants obéissent", continuent de fuser et je ne cesse de me demander:

Quelle place accordons-nous aux enfants dans notre société??
Celle de sujet ou celle d'objet?

La loi interdit de frapper un adulte
La loi interdit de frapper un animal

Mais les enfants, eux, peuvent continuer à être frappés...
Est ce juste? 
Pouvons-nous continuer à nous mentir et à le tolérer?

Commentaires

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  2. Merci les filles.

    Stéphanie, moi aussi, j'aime bien ton rêve des couteaux.
    Il existe tant d'autres façons de se défendre finalement...
    Cathou, merci pour ton bravo. C'est un post qu'il ne m'a pas été facile d'écrire à vrai dire. Mais poser ces mots là, révéler l'existence de difficultés, ce sont mes pas vers un peu plus d'humilité.

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  3. Hello ,
    Il m'est arrive aussi de donner une fessée .
    Je pense qu'il faut toujours garder en tete avec les enfants les moyens de pressions possibles , en plus d'expliquer de communiquer . Les moyens de pressions AVANT DE S'ÉNERVER de crier et d'avoir envie de taper ... . Pas de choco, pas de desserts , pas de Tv ou écran , pas untel qui vient jouer a la maison etc ... et bien se dire qu'il faudra les utiliser souvent souvent et que c'est normal .
    Je dis ça je l'automotive en fait aussi :-) : c'est un peu pas facile avec notre grande en cp , ravie a l'école et enthousiaste et sage et un peu provoc a la maison donc à recadrer assez souvent ...
    Vous savez quoi : j'ai récupérer un nouveau smartphone l'autre avait avait pris l'eau ( grrr)
    Bon dimanche

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  4. Erreur de frappe avant : je m'automotive .
    J'ai vu un super doc sur arte7 sur François truffaut . Il avait eu une enfance difficile rejeté par sa mère , aimait travailler avec les enfants et a dénoncé aussi les violences sur enfants . Je connaissais ses films mais moins le personnage .
    Et Merci pour ton billet qui encourage !

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    1. Coucou Isabelle,

      C'est sûr, que c'est pas facile ! Parfois, les enfants font de tels efforts à l'école, qu'ils ont véritablement besoin de se défouler à la maison. Et c'est pas pour rien que la période après 3 ans et parfois jusqu'à 7 ans, on appelle ça "la petite adolescence"... ils se rebellent, ils apprennent à s'affirmer, parfois de manière maladroite et inadaptée ;) L'autre jour à table, je dis à mes filles, "Bon, maintenant vous mangez, vous arrêtez de parler!" et ma cadette de répondre du tac au tac "C'est toi, maman qui arrête de parler!". J'ai ouvert des yeux ronds. Bien sûr, je n'ai pas laissé passer, je lui ai expliqué qu'elle ne pouvait pas me parler ainsi, et je l'ai fait sortir de table et s'asseoir à l'écart, pour marquer le coup. Mais en moi-même, je suis heureuse qu'elle ait de la répartie, qu'elle ait compris que les mots peuvent aussi être un outil de défense. Reste juste à la ... canaliser, qu'elle apprenne à utiliser son sens de la répartie à bon escient ;)
      Bon courage !!
      Et contente de te retrouver sur la toile;)
      A binetôt

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  5. Hello encore moi Ameline

    C'est très bête ce que je vais te dire mais.... ton texte me rassure car je culpabilise toujours énormément à chaque fessée (attention! je ne suis pas un père violent! mais cela m'est arrivé de mettre une bonne "claque au cul").

    A chaque fois (re attention! "a chaque fois" ne veut pas dire que j'y ai souvent eu recours!), j'ai du regret, souvent je m'excuse et souvent je promets de ne pas recommencer (comme expliqué dans mon blog http://tasdam.blogspot.fr/2014/09/pardon.html)... bref nous combattons donc tous les mêmes démons.

    Cela ne légitime en rien l'acte bien sur mais je me dis que je ne suis pas un père "violent" pour autant, juste un père qui fait son max mais qui parfois cède un peu faiblement...

    Cedric

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